Texte critique d’Iris Dessler (2002) Date de parution : 2002 L’œuvre de l’artiste néerlandais Peter Bogers recouvre, en plus de
nombreuses vidéos monobandes, une vingtaine d’installations vidéo d’envergure. Tous les travaux de
Peter Bogers font référence au corps humain – ses mouvements et ses rythmes
(par ex. la pulsation d’une veine), ses gestes (par ex. le poing serré) et
ses “bruits” (battements de cœur, respiration, babil infantile, etc.). À la manière d’un chercheur en
comportement, il observe minutieusement les mouvements des personnes et
compose dans l’espace des tableaux visuels et
acoustiques impressionnants à partir d’images animées. Peter Bogers a débuté sa carrière artistique dans le champ de la
performance. Il est parvenu à transférer vers le medium vidéo le rapport particulier des corps, de l’espace
et de l’action, comme celui entre l’œuvre d’art et le spectateur, qui joue un
rôle essentiel dans la performance. Ce n’est pas
rare qu’il soit le protagoniste de ses films, et que dans ses installations
vidéos le spectateur occupe le rôle du performeur. L’art contemporain se distingue aujourd’hui
en ce qu’il opère un dépassement des genres et des médiums. Peu d’artistes naviguent aussi souverainement entre les champs du
film, de la vidéo, de la performance, de l’interaction, de la lumière, de l’image, du son, de la
sculpture, de l’installation, que Peter Bogers. Il se sert de matériaux
sonores et visuels des médias de masse, filme des situations du
quotidien ou enregistre en studio des scènes parfaitement chorégraphiées. Dans ses plus récents travaux, Peter Bogers oriente le regard vers
les détails, souvent négligés, en raison de l’habitude ou de l’empressement : un café qu’on touille, le
vent qui effleure un rideau, le déplacement d’une trotteuse. (…) À l’instar de la production des clips vidéo
les plus populaires, à la MTV1, les vidéos de Bogers sont composées d’une
foule de séquences. Contrairement à MTV, il ne produit toutefois pas là une
cascade d’images gourmandes d’effets, mais le contraire : il prête aux choses une lenteur et une
dilatation spatiale inhabituelles, en bref : de la tension. La manipulation du temps, en particulier à l’échelle des secondes,
est un aspect essentiel du travail de Peter Bogers. Il s’agit pour lui d’isoler du temps réel des moments
ou bien des états très précis – du corps, du quotidien – puis de les
transférer dans d’autres formes de durée. (…) La
composition et la synchronisation précises des images correspondent par
ailleurs à des démontages et remontages précis de sons ou
de bruits. (…) L’interaction efficace entre l’image, le son, le temps et l’espace
confère à ce travail une présence physique séduisante, à laquelle ne peut guère se soustraire le spectateur.
Tout au plus retrouve-t-on aujourd’hui une telle disposition dans les
installations vidéos de Bruce Naumann, Bill Viola ou Gary Hill
avec lesquels Peter Bogers a exposé dans la galerie de l’Institut Néerlandais
pour les Arts Médiatiques MonteVideo. La supériorité
des vidéos et installations de Peter Bogers se manifeste dans la limpidité
des contenus, des concepts et des formes avec
laquelle il conçoit, mûrit et finalement réalise. Cette attention concerne aussi la
présentation, par conséquent la mise en espace de ses œuvres. (…) Peter Bogers présente toujours ses œuvres contextuellement, cela
signifie qu’il adapte l’accrochage aux conditions spatiales du lieu d’exposition en question —qu’il
s’agisse d’un musée, d’une galerie, d’un lieu désaffecté, etc. (…) Peu d’artistes sont capables comme Peter
Bogers de réunir dès le “story-board” d’une installation vidéo en projet la
totalité de ses paramètres : cognitifs, émotionnels, et physiques, et de les
communiquer. Ces “story-boards”, qui constituent presque une catégorie à part entière dans l’œuvre de
Peter Bogers, consistent en des animations numériques complexes, qui
associent des projections tridimensionnelles de vues
d’ensemble et de détails, à de courts textes relatifs au contenu et aux
formes de monstration envisagées. Loin des gestes
didactiques, il réussit ainsi à représenter “virtuellement” et à balayer le
spectre entier d’une œuvre d’art. 1 En français dans le texte |